Haute Route de Vilcanota et fête de Qollu Rit'y
Carnets de voyages - Amériques - Pérou - 31.01.2014
Depuis le début nous savons qu'aujourd'hui sera la journée clé de notre projet. Nous souhaitons découvrir un nouveau cheminement d'altitude pour atteindre l'immense lagune Sibinacocha, véritable mer intérieure à l'extrême est de la Cordillère. Si nous réussissons, le pari d'ouvrir une haute Route traversant toute la Cordillère de Vilcanota sera tenu, sinon... Un passage facile existe depuis toujours, le col de Condor Tucu à 5200 m. C'est celui qu'emprunte notre muletier avec sa caravane de mules. Nous partons dans la direction opposée vers cette formidable barrière de montagnes glaciaires qui forme un rempart sur l'horizon. Il nous faut buter dedans jusqu'à trouver une voie de sortie. Trop imprécise, la carte n'est d'aucun secours, seule l'intuition, l'habitude d'être en montagne et un zeste de chance peuvent nous aider. La partie promet d'être belle, longue, engagée et à haute altitude. Dès potron-minet, nous quittons le camp. L'ambiance est froide et austère avec ce ciel gris qui s'est installé. Comment ne pas penser que le ciel a voulu se mettre au diapason d'une atmosphère sérieuse et concentrée. Beau lever de soleil sur les géants de la Cordillère Nous traversons le hameau de Jampa, encore endormi à cette heure matinale ; les troupeaux d'alpagas sont encore rassemblés dans leurs corrals de pierre. Nous remontons une longue, très longue vallée qui semble ne jamais prendre fin. Est-ce la fatigue ou la dimension inhabituelle, on se fait surprendre par les distances. Enfin, à l'extrémité d'un vallon secondaire, nous découvrons notre premier objectif de la journée. Nous avons décidé d'être gourmand et d'ajouter l'ascension d'un sommet non glaciaire à notre programme du jour, le Huayruro Puncu qui domine de ses 5500 m l'altiplano. Une traversée fatigante, dans un sol se dérobant sous nos pas, nous permet de gagner un col. Par une belle arête pavée de lauzes, nous atteignons le sommet. Belvédère admirable car nous sommes au centre du massif. Dans le lointain, nous apercevons la lagune Sibinacocha où nous serons ce soir... si tout va bien ! Près de nous, le sommet du Comercocha évoque la forme d'un puma, allongé sur la carcasse de pierre des Andes. La descente est ludique et rapide dans la poussière volcanique. Au pied du Huayruro PuncuVue du sommet du Huayruro Puncu avec la lagune Sibinacocha en toile de fondNous sommes de nouveau dans le monde minéral de la haute altitude. Avec ces roches chargées de minerais, les couleurs sont étonnantes, passant de l'obsidienne à la prune avec par endroits des trainées d'or. Nous évoluons au milieu des hardes de vigognes, sifflant d'inquiétude devant cette intrusion inhabituelle. Nous suivons l'un de leur chemin vers la crête qui nous fait face. Au sommet, double déception. La pente est trop escarpée pour envisager de descendre sur l'autre versant et le passage que nous avions envisagé pour gagner la lagune Sibinacocha s'avère impraticable. Nous espérions pouvoir longer l'immense glacier fermant le cirque mais il n'y a pas de moraine. Le glacier torturé vient buter contre des falaises interdisant tout passage. Nous sommes indécis. Devons-nous rebrousser chemin et rejoindre le passage classique ou tenter l'aventure au risque d'être bloqués dans une vallée inconnue ? Nous sommes venus pour cet aléa, cette incertitude, cette possibilité d'échec alors nous persévérons. Plus haut sur la crête, une voie de descente s'avère possible. Nous dévalons face à un chapelet de sommets sans nom dépassant les 6000 m d'altitude. Une magnifique lagune comme un oeil turquoise serti dans la montagne nous attire irrémédiablement. Vue depuis le 1er colLa barrière du Nevado ChumpeAvant la fin de la descente, un balcon naturel se présente. Avec ce passage commode, l'espoir remonte. Nous décidons de suivre ce corridor caché qui domine le gigantesque fleuve de glace. Par de vagues sentes, nous reprenons de l'altitude. Cela fait des heures que nous sommes partis. Nous marchons maintenant loin l'un de l'autre, chacun à son rythme. Un curieux monolithe de pierre, isolé dans le décor, oriente notre montée. La fatigue se fait sentir et aucun passage ne se dessine. Partout, ce ne sont que glaciers et pics rocheux. Nous tentons une traversée sur une pente de neige pour rejoindre la crête. Nous sommes à 5300 m d'altitude et là, enfin, trouvons le passage ! Cette brèche nous ouvre les portes du versant oriental du massif. Un passage étroit, libre de glace, rejoint sans obstacle le vallon tant convoité. Une splendide lagune turquoiseVue globale sur la vallée cachéeNous sommes heureux et soulagés. Le camp est encore loin mais nous sommes désormais certains de l'atteindre. Mon compagnon se laisse glisser vers les alpages, impatient de retrouver un terrain plus accueillant. Je reste quelques minutes seul sur la crête profitant de la solitude des lieux et m'emplissant du paysage. Un curieux glacier attire mon attention. Posé sur un plateau de graviers violets, il a l'aspect d'une banquise disloquée. Plus étonnant, en se rétractant, il a laissé des pointes glaciaires qui, avec le temps et l'érosion, ont fini par se détacher entièrement de lui. On a trouvé le passage au coeur d'un océan de glaciersEtrange glacier qui a abandonné sa pointeIl est temps de repartir. Descente dans une vaste vallée qu'affectionnent les vigognes, ces cousines sauvages et gracieuses des lamas. En perdant de l'altitude, la couleur revient sur les roches et s'en donne à coeur joie au niveau des teintes. Nous atteignons enfin les rives de la lagune Sibinacocha. Quel changement d'ambiance ! Après la haute montagne grandiose mais sévère, nous voici presque en bord de mer. La lagune est si vaste que ses rives disparaissent à l'horizon. Les abords sont vallonnés et sa côte très découpée. Un agréable chemin côtier, de caps en criques, nous rapproche de notre bivouac. Quel bonheur, au sommet d'une ultime butte, d'apercevoir le camp dressé par notre fidèle Luis. Nous le rejoignons à la nuit tombante et il semble encore plus heureux que nous de retrouver une présence humaine ! La voie est libre vers notre camp du soirMon compagnon comme avalé par l'immensité de l'altiplanoVision de rêve de notre campSplendide camp entre glacier et laguneLa soirée est passée à lui narrer cette épuisante mais ô combien formidable journée. Nous sommes heureux car une route est ouverte et d'autres pourront l'emprunter ! Notre pari de départ est réussi.
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