Balade chez les Khmers
Carnets de voyages - Asie Pacifique - Cambodge - 10.01.2011
S'il y a un animal stupide au monde... c'est bien le coq ... et dire que c'est l'emblème des Français ! Chaque ferme qui se respecte au Cambodge a au moins un représentant mâle du genre gallinacée et ces braves bêtes débutent en général leurs chants (bizarre d'ailleurs que l'on appelle ce style de hurlement ... chant !) vers minuit ! Et lorsqu'un coq arrête. C'est un autre qui démarre. Bref la nuit fut ponctuée de réveils brutaux avec des envies assassines. Lorsqu'enfin le jour se lève les volailles se taisent mais nous devons nous lever ! Ne pas oublier ses boules Quies est une nécessité. Une heure de route et nous arrivons devant Beng Melea, l'un des temples les plus mystérieux du Cambodge. Imaginez un géant en train de jouer avec un tas de "légos", où imaginez un tremblement de terre gigantesque qui a mis à terre un ensemble architectural colossal ... et vous avez la première vision du site, lorsque l'on remonte l'allée Sud. Cette sorte de désolation est paradoxalement très esthétique et ce n'est certainement pas un hasard si Jean-Jacques Annaud a choisi ce site comme décor du film "Deux Frères" qu'il tourna en 2004. Beng Méalea, dont la traduction littérale est "lac de la guirlande" est un site qui abrite les trois grandes religions du Cambodge, mais dont l'effigie principale était le Bouddha. Les temples furent construits sous le règne de Suryavarman II, entre 1112 et 1152. Le plan d'ensemble aurait servi de modèle pour l'édification d'Angkor Vat. Pour plus d'informations et de descriptions, reportez vous aux livres spécialisés dont je vous ai parlé il y a deux jours. Mon propos va être de comprendre ce qui est arrivé à cet ensemble, pourquoi il est aussi disloqué ! La première cause de cet état vient des hommes : le vandalisme pour récupérer les agrafes métalliques qui lient les pierres entre elles et pour rechercher d'hypothétiques trésors. La deuxième cause vient aussi des hommes mais pour une autre raison, la raison d'état lorsqu'un peuple ennemi veut détruire une culture, avec la mise à sac des bâtiments phares d'une civilisation. Sur ce sujet Smey nous fait une comparaison historique : à chaque fois que le "grand frère" (où l'ennemi...) vietnamien a occupé le territoire cambodgien, à chaque fois l'envahisseur a d'abord détruit et arraché les palmiers à sucre (symbole national et source de vie pour les paysans) et les a remplacés par le bambou (symbole du Vietnam ... et plante particulièrement envahissante !). La troisième cause vient de la nature elle-même, et en particulier des arbres. Sur ces ruines (mais cela est vrai partout au Cambodge) il existe deux sortes d'arbres extrêmement dangereux. Tout d'abord le faux fromager (tétrameles). Son bois ne sert à rien, car dès qu'on le coupe ou que cet arbre meurt de mort naturelle, l'ensemble se transforme en poussière en à peine trois mois. Le problème est que le faux fromager a besoin de structures en pierre pour commencer sa vie et grandir. A peine adolescent et le voici déjà en train de torturer la pierre, de soulever des tonnes de cailloux sans beaucoup d'effort, si bien que rapidement ce qui reste d'un bâtiment ne tient plus que grâce à l'arbre lui-même ! ... Et lorsque le bandit trépasse ... retournant au néant, il précipite avec lui le reste de ce qui tenait encore debout. Deuxième tueur de temples : le ficus étrangleur. Sa technique est un peu différente. Pour lui la prise totale et sans rémission d'un ensemble, si gros soit-il, est la règle. Ses racines tentaculaires s'insinuent partout et bientôt le temple est noyé, étranglé par la végétation ! La quatrième cause vient de la baisse du niveau de l'eau dans les douves. En effet il n'y a pas de fondation sous les temples. Les pierres sont posées sur un lit de sable compacté qui est en contact avec l'eau qui stagne dans les douves, assurant une constante dans l'hygrométrie de l'ensemble. Le niveau d'eau baisse et c'est la stabilité globale de la structure qui est en jeu. Smey se régale dans ce dédale de pierres. C'est un véritable enchantement de faire des visites avec ce guide, car sans explication, sans histoire, sans les détails pointés du doigt, sans sa connaissance immense des lieux ... ce genre de découverte pourrait être sans intérêt. Chaque tampon raconte une histoire, comme par exemple le jugement de Sita par le Dieu Agni, chaque linteau raconte un mythe, comme celui représentant le barattage de la mer de lait... Après la longue visite de ce site réellement exceptionnel, Smey nous balade jusqu'à une carrière de grès en fonctionnement. A la demande de l'autorité de conservation du site d'Angkor (APSARA), des tailleurs de pierre sortent encore de manière traditionnelle des énormes blocs de grès des carrières qui étaient déjà utilisées au Xème siècle. Ce travail de forçat dans un univers hostile (chaleur, pas d'eau, huttes en paille pour s'abriter) est pourtant réalisé par des équipes dont l'accueil n'a d'égal que le sourire. Il est vrai qu'ils ne reçoivent pas beaucoup de visites, les touristes pressés que l'on croise rentabilisent leurs vacances en une course effrénée et comptabilisent le nombre de visites à la journée ! Poursuite de notre remontée vers le Nord avec la visite de Koh Ker (l'île de l'héritage). Ce fut la capitale éphémère d'un roi usurpateur : Jayavarman IV. Dans un univers assez hostile, loin des richesses centrées autour du lac de Tonlé Sap, ce roi a certainement voulu être différent des autres. Sa capitale fut établie à équidistance de toutes les autres anciennes grandes cités historiques de l'empire khmer. C'est de plus le seul roi qui a fait construire un temple montagne à sept étages, comme prescrit par les textes classiques de l'Inde. Le plan d'ensemble est assez étonnant, avec des appareillages cyclopéens. Cependant les successeurs de J IV ne resteront pas dans cette zone, préférant rapidement redescendre vers les richesses concentrées autour d'Angkor. Quant à nous, nous mettons le cap à la suite de cette dernière visite vers la petite ville de Tbeng Meanchay, qui n'offre pas d'autre intérêt que de nous fournir un lit et une douche.
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