Voyage au Ladakh
Carnets de voyages - Asie Pacifique - Inde - 29.08.2013
Quel dommage que Tirawa n'ait pas existé à la fin du XIXème siècle ! Les Cézanne, Van Gogh, Matisse, c'est ici qu'ils seraient venus réinventer la lumière et la couleur, au lieu de prendre bêtement le chemin de fer Paris-Lyon-Méditerranée pour aller fomenter leur révolution picturale en Provence.Les gris, d'abord. Oui, les cinquante nuances de gris. Facile... Où nous sommes, à plus de quatre mille mètres d'altitude, les couleurs sont minérales. Et les gris sont les rois. Ici ils sont lumière, chaque versant qui nous domine est un nuancier de gris à lui tout seul, quand quelques nuages viennent jouer avec le soleil himalayen.
Les roses. Cinquante nuances de rose, qui alternent avec les gris et les rehaussent.
Les ocres, cinquante nuances d'ocre jouent leur partition.
Les blancs. Cinquante nuances de blanc ? Parfaitement. Celui des sommets enneigés. A cette période de l'année, pas ensevelis sous la neige, juste coiffés, ourlés. L'astuce du peintre pour exhausser les ocres, les gris et les roses. Celui des murs chaulés des monastères. Celui des nuages qui batifolent.
Il y a les couleurs, et il y a les matières. Certains massifs sont modelés, potelés, comme travaillés en pâte à sel par un bambin titanesque. D'autres sont vifs, acérés, comme travaillés par le père du bambin, un titanesque diamantaire. D'autres encore s'exhibent en strates obliques, polychromes. Ou en empilement de blocs gigantesques. Entre ces modèles, s'intercalent des éboulis de toutes granulométries, du modèle pierre de taille au caillou quasi-sablonneux. Les couleurs et les matières ... Et puis, il y a les bleus. Ici, ils sont une catégorie à part. Pas une couleur de plus. Ils sont d'une autre nature, d'une autre essence. Bleu du ciel, mais surtout, bleus innombrables du lac Pangong, qui se dévoile au bout de notre route. Les décrire, ou seulement les évoquer par des mots serait pure vanité. Une expression vient à l'esprit : Bressol de tots els blaus, berceau de tous les bleus. C'est le titre d'une chanson de LLuis LLach. Les bleus, c'est bien ici qu'ils naissent, qu'ils s'inventent, qu'ils s'épanouissent, jouent entre eux, se multiplient, se renouvellent, dans l'écrin des roses et des ocres des versants qu'ils baignent. Llach, lui aussi, en renierait sa Méditerranée... Évidemment, ces couleurs, ces matières et ces bleus se méritent... Nos impressionnistes seraient-ils montés au Chang La, 5300 mètres, par la route étroite agrippée à flanc de montagne ? Température négative au col, malgré le soleil éclatant. L'armée sert un thé chaud et propose une assistance médicale gracieuse aux voyageurs atteints du mal des montagnes. C'est gentil de sa part. Ça lui offre un point de contrôle supplémentaire sur cette route stratégique, en plus des check-post où nous devons montrer patte blanche et passeport en règle. Le lac Pangong mesure 150 kilomètres de long. 40 kilomètres sont indiens. Les autres bleus sont chinois.
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