- Voyage au Ladakh -

LA SAGESSE DE LAMA DRUKCHEN RIMPOCHE

L'événement est d'importance, au point de bouleverser notre programme : depuis cinq jours et jusqu'à ce soir, le Lama Drukchen Rimpoche dispense son enseignement à Hemis, le plus important monastère du Ladakh, auquel sont affiliés plus de 500 moines. Drukchen Rimpoche est un prédicateur hautement réputé, sa parole est rare et recherchée dans tout le monde bouddhiste. Les fidèles ont accouru de tout le Ladakh, et de bien plus loin encore, pour l'entendre. Combien sont-ils sur la grand-place du monastère, serrés en tailleur sous les immenses toiles qui les protègent du soleil ? Deux mille, plus ? Des familles entières, des très vieux, des tout jeunes, des enfants, des moines en robe safran et étole bordeaux, des moinillons de 10 ou 12 ans, communient dans une ferveur bon enfant au  verbe du saint homme. Aux premières loges, des militaires en uniforme, sagement rangés sur trois rangs, boivent ses propos. Inlassablement, des femmes arpentent la foule et distribuent des timbales métalliques dans lesquelles elles servent du chaï massala, le merveilleux thé aux épices. Sur la tribune, modèle congrès d'un parti politique, une brochette de lamas entourent l'officiant et l'assistent dans le jeu des questions-réponses avec les fidèles qui se succèdent respectueusement au micro. Les questions sont posées indifféremment en langue locale ou en globish, cet anglais du monde globalisé que l'on parle dans les aéroports et ici. Question : "Comment en finir enfin avec l'insoutenable domination masculine qui pervertit nos sociétés orientales et occidentales ?". La réponse doit être passionnante, mais Motup nous entraîne pour la visite du monastère. Il nous explique au passage que les monastères tirent leur richesse des offrandes des fidèles, des propriétés qui leur sont léguées et dont ils perçoivent les fruits, des honoraires que les moines facturent pour venir prier pour l'âme des morts ou la santé des vivants... et de la générosité de l'armée, qui ne marchande pas ses offrandes. C'est notamment la largesse des casernes avoisinantes qui approvisionne les cuisines des couvents. Face au Pakistan musulman et à la Chine matérialiste, entretenir la ferveur bouddhiste des Ladakhis ne peut pas faire de mal, n'est-ce pas ? Question au Maître, posée en globish : "un soldat, dont le métier est de tuer, peut-il le faire sans trahir les enseignements de sa religion ?". Réponse, nullement embarrassée : "s'il le fait pour défendre son pays, sa terre, sa famille, et en vertu d'un ordre légitime, alors il peut le faire sans que sa conscience religieuse en souffre. A condition toutefois de ne jamais oublier que l'ennemi qu'il tue est un humain comme lui, qu'il a une famille, des enfants...".

Les vertus cardinales du Bouddha Sâkyamuni sont la Sagesse, la Force, et la Compassion. Dans sa grande sagesse, Drukchen Rimpoche enjoint les militaires d'exercer la force avec compassion... Toujours le même foutu problème : comment passer de "Tu ne tueras point" à "Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens" sans (trop) se renier ? Parions qu'à quelques encablures d'ici, de l'autre côté de la frontière, un imam affronte la même redoutable équation théologique... Tout autour du monastère, les parkings débordent. D'immenses tentes blanches ont été dressées pour héberger les fidèles venus de loin. Des échoppes improvisées servent des repas  simples, à manger debout. Quelques marchands du temple étalent leur éventaire. Ambiance Fête de l'Huma ou festival de rock. Ici se conjuguent la ferveur religieuse, la quête spirituelle, le bonheur simple de se retrouver et de partager, de se sentir forts ensemble, et la fête qu'engendrent immanquablement  les rassemblements de ce genre. Sinon, plus près de chez nous, il y a Taizé... Monastère de Tiktse