Voyage au Ladakh
Carnets de voyages - Asie Pacifique - Inde - 29.08.2013
Le monastère était fermé. Déception ! C'est qu'il avait fière allure, vu d'en bas, ce monastère de Shergol. De l'extérieur, l'oeuvre architecturale se limite à une façade : le reste est enfoui dans la montagne. Ce monastère troglodyte se mérite : les souffles étaient haletants quand nous nous sommes cassés le nez sur un rideau de fer impavide. Le moine -unique- était parti en vacances, ou déférer à une convocation de la maison-mère, Hémis, ou faire retraite on ne sait où. Toujours est-il qu'on était sans nouvelles de lui depuis trois jours, et que personne au village n'avait la clé. Pour apaiser notre déception, une femme nous a ouvert l'autre temple, celui du village, celui de tous les jours, quoi. Une salle paroissiale simple et nue, ni belle ni moche. C'était gentil de sa part... Les chauffeurs congédiés, nous avons décidé de rentrer à pied au camp, à travers la campagne et les champs étagés en terrasses. Au péril de nos vies, nous avons traversé un torrent furieux d'au moins 30 cm de large, puis une rivière impressionnante sur une échelle horizontale. Indiana Jones à côté, c'est de la rigolade. Nous avons croisé deux gamins qui rentraient de l'école, hilares au spectacle de ces cachets d'aspirine patauds qui tâtonnaient leur chemin dans leur univers familier. Notre échange avec eux s'est limité à des "bye-bye" amicaux, et à des sourires empruntés. Comme avec la dame du temple. Comme avec les chauffeurs. Nous repartirons de chez eux sans rien savoir de leurs vies, de leur quotidien, de leur regard sur le monde et sur nous. Foutue barrière de la langue, aussi hermétique que le rideau de fer du temple ! Motup est notre guide, pas notre interprète, et de toute façon pour engager vraiment le contact il faudrait du temps. Or nous sommes de passage. "Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux" : les phrases de Proust n'ont pas besoin de faire trois pages pour être percutantes ! Nos yeux ont-ils changé depuis le début de notre périple ? Impossible évidemment d'apporter une réponse collective. A chacun de voir. De voir s'il voit autrement. Pouvoir échanger avec les Ladakhis qui nous accueillent aurait sûrement contribué à renouveler notre regard. Mais qu'y faire ? Plus tôt dans la journée, une scène nous a, au sens strict, sidérés. L'ancienne route d'Alchi à Lamayuru est nettement plus belle que la nouvelle qui se traîne en fond de vallée, mais elle a bien besoin d'un sérieux lifting. Justement on s'y emploie. Au détour d'un virage, nous tombons sur un chantier de plusieurs centaines de mètres de long. Nous tombons, en fait, dans l'un des cercles de l'Enfer. Par équipes dispersées le long du chantier, des forçats, certains tout jeunes, portent des charges hallucinantes, refont le ballast, dans l'épaisse fumée noire et forcément toxique dégagée par le goudron qui chauffe à raz de terre. De temps en temps, un gamin aussi noir et charbonneux que le goudron lui-même puise avec un bidon dans un grand baril d'essence et attise le feu dantesque. C'est Germinal à ciel ouvert. Nous, nous regardons, un peu hébétés, et nous prenons des photos. Pour témoigner. Ou par voyeurisme ? On pense à la chanson de Lavilliers, Fench Vallée : "Le fils du patron venait nous visiter au sortir du night-club avec de jolies femmes il nous regardait faire, essayant d'estimer la montée de la courbe, la chaleur de la flamme". Nous remontons dans nos voitures confortables. Nous sommes tous des fils du patron. Y avons-nous au moins gagné de nouveaux yeux ?
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