Voyage au Ladakh
Carnets de voyages - Asie Pacifique - Inde - 29.08.2013
Quand il y a plusieurs chevals, on dit "des chevaux". Pour les mémorials, c'est pareil : à partir de deux, on doit dire "des mémoriaux". Il est essentiel de connaître cette règle de grammaire quand on se rend par la route (comment faire autrement ?) de Kargil à Srinagar. Des mémoriaux, sur cet axe, il y en a un paquet ! Le plus imposant est celui de la bataille de Tiger Hill, en 1999, qui nous fournit l'occasion d'un petit cours de géostratégie historique. Quand nous arrivons sur le parking, un hélicoptère se pose à quelques dizaines de mètres, et un magnifique général de brigade, surmonté d'un turban rouge, s'en extirpe. Il vient rendre hommage à la mémoire des 524 militaires indiens tombés lors de cette bataille. La base est pavoisée aux couleurs indiennes, des soldats en grand uniforme de parade montent une garde impeccable. La fanfare exécute (dans tous les sens du terme) une marche funèbre. Un officier, sikh comme le général (mais son turban est vert), nous prend en charge et nous explique, avec beaucoup de pédagogie et d'humour, cet affrontement indo-pakistanais meurtrier. La route sur laquelle nous nous trouvons est située en fond de vallée, elle est une artère vitale pour toute la région de Kargil. La frontière entre l'Inde et le Pakistan, tracée en 1947 lors de la partition du sous-continent, épouse la ligne de crête de la droite de cette vallée, qui a en outre la particularité d'être l'un des endroits habités les plus froids au monde : entre - 35 °C et - 45 °C selon les hivers. Pas facile de jouer à la guerre ou de surveiller une frontière dans ces conditions. Essayez donc de tirer à la Kalachnikov avec des moufles ! Dans les années 70, les deux Etats ont donc conclu un pacte : l'été, chaque armée occupe la totalité de son territoire, mais l'hiver, tout le monde se retire à 12 kilomètres de la frontière. Mais voilà qu'en 1999, les Pakistanais, mauvais joueurs, rompent l'accord et occupent la crête. De là, ils tiennent sous leur feu la route stratégique et entreprennent d'asphyxier le district de Kargil. C'est tout au moins ainsi que l'on écrit l'histoire, côté indien. Nous ne connaîtrons évidemment pas la version pakistanaise. Bien sûr, l'Inde ne peut tolérer cette agression. L'affrontement est inévitable. Au prix, donc, de 524 morts, l'armée indienne sera victorieuse de cette guerre que les deux parties se sont échinées à circonscrire à cette vallée. Et pour ôter aux Pakistanais l'envie d'y revenir, elle occupe désormais la bande des 12 kilomètres à l'intérieur du territoire ennemi. Non, mais ! A l'entrée de la base, un Mig 21 est exposé. Notre officier nous explique qu'un appareil du même type, fourni à l'Inde par l'Union soviétique, a été abattu au cours de la bataille... par un missile Stinger, de fabrication américaine, tiré du territoire pakistanais. Ces missiles avaient été fournis, avant 1989, par les Etats-Unis aux Talibans qui comptaient alors parmi leurs meilleurs amis (parfaitement !). Il faut dire qu'à cette époque, ils combattaient l'Armée rouge, qui occupait le territoire afghan. Voilà comment le souvenir de la Guerre froide, ou de ses suites, s'invite dans notre périple. Pince-sans-rire, l'officier nous explique aussi que le Pakistan adore entretenir ici une zone de tension. Quand les difficultés intérieures sont trop fortes, quand il s'agît de détourner l'attention du peuple pakistanais, quoi de plus pratique que de se trouver un ennemi prêt à venir jusque dans nos bras égorger nos fils et nos compagnes ? Pour autant, si la vallée et la région de Kargil sont indiennes, leur population est musulmane, donc spontanément plus proche du Pakistan. On raconte que lors des compétitions sportives entre les deux nations, ces citoyens indiens sont de fervents supporters... du Pakistan. Dès lors, on ne serait pas surpris que le gouvernement de Delhi se réjouisse lui aussi de disposer d'une bonne raison de maintenir une écrasante présence militaire dans la vallée, histoire de contenir les éventuelles ardeurs séparatistes de ces mauvais sujets. Mais cela, l'officier ne nous l'a pas dit...
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